Mana…extrait…

     David estima qu’il avait encore du travail pour deux bonnes heures. La fatigue commençait toutefois à se faire sentir et ses yeux piquaient un peu.
Le gaz et la fumée des bougies n’étaient sans doute pas étrangers à ce désagrément, mais il faisait trop froid dehors pour qu’il ouvre la fenêtre.
Il s’appliquait donc, laissant à présent dériver doucement ses pensées vers sa Livie dont il venait de s’éprendre, et il fredonnait son simple bonheur en mouillant son pinceau avec sa salive pour le rendre plus fin et plus précis. Une habitude qu’il avait récemment prise. Le goût de la gouache n’était pas si désagréable, après tout !
Lorsqu’il oubliait ses angoisses, comme ce soir-là, David était heureux, davantage en tout cas qu’il ne l’avait jamais été. Ce qui avait été moche était derrière lui. Tout allait bien maintenant. Il avait trouvé va voie, son bonheur sans contrainte, et ses parents se rendaient compte avec un soulagement superficiel du changement intervenu.
En réalité, ils n’avaient jamais vraiment pris conscience de ce qu’était la vie de David ni même de ce qu’il était, tout simplement.
« Il s’est assagi et il est devenu studieux. C’est incroyable » se contentaient-ils de déclarer fièrement, pleins d’espoir, cependant.
Depuis plus de deux heures donc, David travaillait dans la pénombre sans se rendre compte que la température de son “cocon” avait imperceptiblement baissé.
Ce n’est que lorsqu’il commença à frissonner et que ses doigts perdirent de leur précision qu’il prit conscience de la fraîcheur anormale de la pièce. Son tremblement redoubla en même temps que naissait en lui une forme de tension nerveuse, comme si tout son être se mettait à vibrer. Il se retourna et constata que le chauffage fonctionnait encore.
« Bon sang ! Je vais être obligé d’arrêter de travailler. Si je continue, je vais saboter mon boulot »
David mit cette soudaine fraîcheur sur le compte de sa fatigue et sur le fait qu’il devait faire tout à coup beaucoup plus froid dehors. La neige n’avait-elle pas été annoncée pour le lendemain ?
Après s’être malaxé vigoureusement les phalanges, fait quelques mouvements des bras et avoir poussé le thermostat du chauffage de quelques degrés, en fait, au maximum, il tenta de reprendre ses pinceaux et de dominer le grelottement qui ne le lâchait plus.
— On se les gèle, ici, dit-il à voix haute, en reprenant sa place face à la fenêtre et en resserrant autour de son cou le foulard de soie qui ne le quittait jamais. Un cadeau de Livie.
Ce faisant, il eut l’étrange impression d’une présence, comme si quelqu’un l’observait. Il tremblait en effet un peu plus que précédemment, mais la nature de son tremblement avait changé.
À la fraîcheur et à la tension se mêlait maintenant de l’inquiétude ou plus exactement, de la contrariété. Il tenta de se raisonner.
« Non, arrête, se dit-il, c’est le froid, rien d’autre que le froid. Elles ne vont pas venir ce soir. Je n’ai ni le temps de les écouter, encore moins de leur répondre !»
Il releva lentement la tête, attiré par la fenêtre à moins de deux mètres de lui et distingua dans la vitre une vague forme d’apparence humaine dont seuls les traits du visage étaient net. Un visage de femme qui s’agrandit sans dépasser le cadre de la vitre, comme si elle y était projetée, pour atteindre une dimension réaliste, à l’échelle de David et des objets qui l’entouraient, comme lorsque l’on fait une mise au point avec le zoom d’un appareil photo.
« Ce n’est pas comme d’habitude » pensa t-il.
Tous les poils de son corps se hérissèrent en un instant. Il recula vivement et se leva. Sa chaise glissa sur le lino jusqu’au chauffage qu’elle heurta avant de basculer lourdement au sol où le dossier de bois rebondit plusieurs fois.
Sa première idée fut de croire que ça se passait au dehors.
« Mais non, les volets sont fermés, il fait trop mauvais et puis, je suis à l’étage. »
Il ne s’agissait pas non plus de sa propre image transformée par la buée, il n’y en a pas, ni son imagination lui jouant des tours. Pas la moindre trace d’une plaisanterie de mauvais goût que son frère aurait pu lui faire, comme il en avait l’habitude…
Alors…

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