Les trésors d’Aiguevives…extrait…

Vendredi matin 27 octobre 2006.

   Florence ouvrit les yeux à la première sonnerie du télé-phone. Elle décrocha pour interrompre les suivantes puis s’étira en bâillant, goûtant avec plaisir au confort des draps à peine défaits et au silence régnant dans l’hôtel.
La fenêtre à l’est offrait une vue sur le bas de la ville et laissait pénétrer le soleil d’automne. Elle pensa à son minuscule appartement de la rue du Beaujouan à Bourges où, quelle que soit la saison, la clarté du jour pénétrait à peine.
Chaque matin, sauf le dimanche, le camion des éboueurs la réveillait à six heures en faisant vibrer les vitres. Quand par miracle elle parvenait à se rendormir, la laveuse de voi-rie prenait le relais et se chargeait de la tirer du lit.
La veille, après le dîner, elle avait consulté à la réception les horaires des trains pour Bourges et programmé un réveil pour six heures trente, tout en étant persuadée qu’elle ne parviendrait pas à s’endormir. Or, à sa grande surprise, sa nuit avait été sans rêves, sans cauchemars, un vrai sommeil naturel et réparateur.
Son train partait à neuf heures quarante-huit. Elle serait chez elle vers onze heures. Elle n’avait pas à se presser, aussi resta-t-elle assise au bord du lit un petit moment pour réfléchir et arrêter une stratégie.
Elle allait devoir affronter Ady sitôt arrivée à Bourges. Elle tairait sa mésaventure pour ne pas lui donner l’occasion de se faire des gorges chaudes des mises en garde dont elle l’avait accablée et dont elle n’avait pas tenu compte. Elle n’aurait qu’à lui dire que le courant n’était pas passé entre Daniel et elle – ce sont des choses qui arrivent –, et qu’ils avaient alors décidé d’un commun accord d’abréger leur week-end. Pour donner du crédit à son histoire, elle ajouterait qu’ils s’étaient quittés bons amis. En-suite, elle tournerait la page sur cette malheureuse aventure.
Oublier Montrichard, parenthèse lamentable dans la vie d’une femme trop naïve qui s’était laissée mener en bateau ; passer l’éponge sur un épisode dont le dénouement lui avait fait éprouver de la honte, presque de l’humiliation, c’était la résolution qu’elle avait prise en se couchant. Jamais plus elle ne se laisserait prendre au piège du virtuel, véritable miroir aux alouettes technologique. Trop risqué, trop incertain… Trop décevant, surtout.
Un aller et retour Bourges Montrichard, en somme, avec une nuit en prime, seule dans un hôtel trois étoiles, petit déjeuner compris, dans une coquette chambre avec vue sur des toits ardoisés et le donjon médiéval, voilà à quoi se résumait son escapade amoureuse automnale… Pas vraiment de quoi être fière, pas vraiment l’apothéose tant rêvée !
Elle sourit amèrement de sa mésaventure. Tout bien ana-lysé, elle en sortait sans trop de dégâts. Daniel Auzat et Florence Jouaud pouvaient fort bien poursuivre leur route chacun de leur côté, comme s’ils ne s’étaient jamais ren-contrés.
D’ailleurs, ils ne s’étaient jamais rencontrés.
Et puis, un aussi mauvais départ n’augurait rien de bon pour la suite, si suite il y avait eu.
Sa toute première pensée du matin était quand même allée vers lui. Elle avait été fugace, à peine consciente, mais identifiée sans conteste, preuve d’un ancrage sérieux de Daniel dans sa vie, et aucune envie de corriger cette im-pression.
Peut-être même était-ce la trace d’un dernier rêve dont il avait été le centre, mais très vite oublié ?
Ce questionnement fit ressurgir l’image du jeune homme. Elle dut se rendre à l’évidence, elle n’éprouvait plus aucun ressentiment à son encontre. Elle en fut étonnée, troublée, même.
Les choses ne se passeraient-elles pas comme elle l’avait décidé ? Elle ne l’oublierait pas aussi aisément qu’elle se l’était juré.
Elle devait en convenir, Daniel Auzat et le mystère qui l’entourait étaient toujours bien présents dans son esprit. Trop présents, même.
À nouveau désireuse de se reprendre et de fonctionner comme à son habitude, Florence décida de passer outre à ses états d’âme matutinaux. Elle se leva d’un bond, fonça vers la salle de bains où elle resta pas loin d’une demi-heure sous le jet presque brûlant de la douche, en s’efforçant de ne pas penser à Daniel, après quoi elle finit de se préparer, sans se presser.
Elle descendit prendre son petit déjeuner en emportant son bagage de façon à ne pas avoir à remonter dans sa chambre, comme si le souvenir de Daniel y rodait encore. Elle régla sa note puis s’achemina à pied vers la gare dis-tante d’un demi-kilomètre.
La journée s’annonçait sereine, en contraste avec le temps tourmenté de la veille. L’air était frais. La petite bourgade calme et paisible commençait à s’activer. En moins d’une demi-heure Florence fut à la gare.
Il lui restait une vingtaine de minutes à patienter avant le départ de son train. Quelques personnes attendaient dans le hall, assises sur les banquettes.
Près du guichet, deux gendarmes discutaient avec l’employé, le même que la veille. Lorsque Florence s’avança pour prendre son billet, les deux militaires marchèrent à sa rencontre, visage fermé.
Le plus grand posa par réflexe deux doigts sur la visière de son képi.
— Mademoiselle Jouaud ?
Être appelée par son nom dans un lieu où, en principe, elle était inconnue, lui causa une émotion.
— C’est bien moi.
Son sourire se crispa quand elle vit à qui elle avait affaire. Il est rare que les gendarmes soient porteurs de bonnes nouvelles. Le plus petit des deux se plaça sur le côté, entre elle et la porte, de manière à lui interdire la sortie.
— Vous êtes bien mademoiselle… Florence Jouaud ?
— Puisque je viens de vous dire que c’était moi ! Que me voulez-vous ? Aurais-je fait quelque chose de répréhensible ?
— Pouvez-vous nous présenter une pièce d’identité ?
Elle ramena devant elle son sac en bandoulière et d’une main tremblante, tendit sa carte au plus petit des deux militaires.
Il y jeta un coup d’œil et la lui rendit aussitôt en hochant la tête d’un air entendu.
— Vous voudrez bien nous accompagner à la brigade, mademoiselle Jouaud. Nous avons quelques questions à vous poser.
—Je n’ai pas l’intention de vous suivre où que ce soit et encore moins de répondre à vos questions. Je n’ai rien à me reprocher. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Dites-moi ce que vous me voulez. Mon train part dans un quart d’heure et…
— Vous allez cependant devoir venir avec nous sans faire de difficultés, mademoiselle. Ne nous obligez pas à vous y contraindre. Ce serait désagréable pour tout le monde, croyez-moi… Soyez compréhensive, s’il vous plaît.
— Que se passe-t-il ? Vous pourriez au moins me dire ce qu’on me reproche. Je ne suis pas une délinquante ! Je suis une honnête commerçante ! Il doit s’agir d’une erreur.
Les deux représentants de la maréchaussée s’interrogèrent du regard. Après un hochement de tête entendu, le plus grand prit la parole.
— Daniel Auzat. Ce nom évoque-t-il quelque chose pour vous, mademoiselle Jouaud ?
Florence eut l’impression qu’un courant d’air glacial traversait le hall et que son cœur allait s’arrêter de battre.
— Il… Il lui est arrivé quelque chose, bredouilla-t-elle ?
Les gendarmes se regardèrent à nouveau, mais ne lui donnèrent aucune réponse. Florence s’emporta soudain ignorant la présence d’oreilles et de regards indiscrets.
— Répondez, bon sang ! Qu’est-il arrivé à Daniel ? Il est mort, n’est-ce pas, et vous n’osez pas me le dire. C’est ça ?
— Allons, gardez votre calme, mademoiselle. Vous voyez bien qu’il est nécessaire que nous parlions ? Accompagnez-nous à la brigade. Nous allons prendre votre déposition.
— Ma déposition ? Mais une déposition sur quoi, grands dieux ? Je n’ai rien à déposer. Je devais rencontrer Daniel Auzat et ça ne s’est pas fait. Dites-moi ce qui lui est arrivé ou je ne bouge pas d’ici !
— Allons, mademoiselle, votre attitude ne nous aide pas. Mon collègue et moi ne sommes pas autorisés à vous parler. Notre supérieur le fera, soyez-en assurée. Vous comprenez ?
Florence réalisa que de toute façon, elle n’avait d’autre choix que d’obtempérer.
— Soit. Je vous suis… Mais mon train, alors ? Je… J’allais repartir…
— Allons-y, mademoiselle Jouaud.
Le trio quitta le hall sous le regard curieux des voyageurs. Florence marcha entre les deux militaires comme un automate jusqu’à leur voiture sans prononcer un seul mot.
Le plus petit des gendarmes lui ouvrit la portière arrière, la débarrassa de son sac de voyage qu’il mit dans le coffre avant de prendre place à ses côtés. L’autre s’installa au volant.
— Je m’appelle Guy Lamotte, dit ce dernier en démarrant.
Le maréchal des logis assis près d’elle se présenta d’une façon très militaire avant d’ajouter qu’on ne leur avait don-né pour mission que de la localiser et de la ramener à la brigade pour audition.
Ils demeurèrent silencieux pendant le court trajet jusqu’à la gendarmerie. Lorsque la voiture fut parvenue devant la grille, le chauffeur se tourna vers Florence.
— Pour nous, c’est mieux quand nous ne sommes pas obligés d’employer la manière forte, vous savez, mademoiselle… Je vous remercie de vous être montrée coopérative.
— C’est normal, je n’ai rien à me reprocher… Comment avez-vous su qui j’étais et que je m’apprêtais à prendre le train ?
— Le commandant de brigade vous dira dans un instant tout ce que vous voulez savoir mademoiselle Jouaud. Je ne peux rien faire de plus. Je suis désolé…
Il s’adressa à son collègue.
— Francis, tu devrais aller demander qu’on nous ouvre la grille.
Dès que le jeune gendarme fut sorti, il se tourna à nou-veau vers Florence paniquée à l’idée d’être questionnée par des officiers de police sans même savoir ce qu’on avait à lui reprocher.
— Vous n’avez rien à craindre, lui glissa-t-il d’une voix se voulant rassurante. Décontractez-vous. Quand vous serez dans le bureau du commandant de brigade, contentez-vous de répondre avec franchise à toutes les questions qui vous seront posées et vous verrez, tout se passera pour le mieux. Vous n’êtes pas en état d’arrestation. Il ne s’agit que d’une audition. Soyez rassurée. Daniel Auzat n’est pas…
Il fut interrompu par son collègue tapant sur la vitre.
— Alors, qu’est-ce que t’attends pour démarrer ? Vas-y ! Je referme derrière.
La barrière métallique coulissa et la voiture se rangea sous les fenêtres du bâtiment. Le gendarme Lamotte serra le frein à main et se retourna.
— Désolé, mademoiselle… Je ne peux pas vous en dire plus.
Deux autres gendarmes, dont une jeune femme, approchèrent aussitôt de la voiture et accompagnèrent Florence jusque dans le bureau du supérieur.

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